Ariège : le Front national-républicain sur ses fonds baptismaux

Avec mon camarade et ami Thibault Lhonneur, élu municipal à Vierzon, nous publions une note d'analyse à la demande de Médiapart. Elle se veut une analyse à chaud du second tour de l'élection législative partielle qui vient de se dérouler dans la 1ère circonscription de l'Ariège, mais la replace dans un travail de fond effectué à propos des villes petites et moyennes dans la géographie politique et sociale de la France qui vient. En voici le détail.


La perte du siège ariégeois de Bénédicte Taurine à l’assemblée par LFI ne manquera pas d’être interprétée comme le signe d’un recul de la NUPES dans les résultats électoraux. Pourtant, ce résultat nous paraît devoir être nuancé : toutes les élections partielles engagées par la France Insoumise lors de la séquence 2017-2019, qui suit immédiatement les élections générales sont nettement plus difficiles que celles qui ont cours depuis juin 2022 : en 2018, la première partielle a lieu dans la première circonscription du Val d’Oise (95). Leïla Saïb, candidate de la France Insoumise, obtient un score absolu plus important qu’en juin 2017 mais ne bénéficie pas d’un rejet anti-Macron. C’est ensuite dans la 8ème circonscription de Haute-Garonne (31) qu’une partielle se déroule. Pour Philippe Gimenez, candidat LFI, le résultat est similaire : les équilibres politiques de l’élection générale ne sont pas bousculés. Seule satisfaction : le RN est dépassé par la FI qui passe troisième. S’ensuit l’élection partielle dans la première circonscription du 91 suite à la démission de Manuel Valls en partance pour Barcelone. Alors qu’à l’élection générale, la candidate LFI Farida Amrani avait perdu de peu (61 voix), elle est cette fois-ci lourdement battue au second tour. Au contraire de la séquence post élections législatives de 2022, la France Insoumise et la NUPES parviennent à prolonger la dynamique du cycle du printemps dernier : Bertrand Petit, cette fois-ci soutenu par la NUPES, est réélu aisément dans la 8ème circonscription du Pas-de-Calais et René Pilato ravit la 1ère circonscription de la Charente à la majorité présidentielle. Le score de Bénédicte Taurine au 1 er tour ne peut lui-même pas être interprété comme un réel désaveu : elle perd deux points par rapport à juin dernier au premier tour, ce qui n’est pas très étonnant quand on sait que l’électorat de la gauche en général et de LFI en particulier, est plus difficilement mobilisable sur les temps électoraux faibles. Cet électorat pâtit inévitablement davantage que les autres d’une baisse de la participation globale. La victoire de Martine Frogier ne peut, dans ce contexte, guère être interprétée comme un retour à la social-démocratie moins clivante que ne peut l’être la NUPES : celle-ci retrouve presque exactement, à cent voix près, son nombre d’électeurs du printemps. Il n’y a donc pas de bond dans l’opinion, mais simplement une meilleure mobilisation comparative du socle électoral de la gauche modérée. Cette sur-mobilisation répond par ailleurs à une certaine logique : en bénéficiant du soutien actif de toutes les notabilités politiques de la région (présidente de région, présidente du conseil départemental, maires et présidents de communautés de commune), elle a pu capitaliser auprès d’un électorat nettement plus large que sa seule base électorale. C’est lors des élections partielles que la puissance de feu des grands féodaux est la plus forte : leurs électorats se mobilisent, et la relative dépolitisation du scrutin laisse la place aux fidélités de proximité. Lors du second tour des élections législatives, les électeurs de la majorité, de la droite traditionnelle et du RN ont eu tendance à se coaliser pour faire battre les candidats de la NUPES : il est significatif que leur ralliement est plus net en direction du RN que du candidat NUPES. C’est ce que nous avons appelé le « Front National Républicain » , remplaçant du Front Républicain décidément enterré. Lors de l’élection législative partielle en Ariège, ce Front National Républicain a largement tourné au bénéfice de Martine Frogier puisqu’au second tour, elle gagne plus de 5000 voix qui ne peuvent s’expliquer sans le ralliement massif des électeurs macronistes et lepénistes du 1er tour . La logique selon laquelle les électeurs des candidats Renaissance et LR éliminés du second tour se sont plus nettement mobilisés en faveur du RN qu’en faveur de la NUPES lors des élections de juin reste donc bien à l’œuvre ainsi : simplement, elle se fait cette fois-ci au profit de la candidate de la gauche modérée dans un réflexe de barrage à l’union de la gauche. Au-delà de l’interrogation légitime sur le jeu joué par la majorité et l’extrême-droite qui ont appelé à faire battre Bénédicte Taurine, en se focalisant de surcroit sur Jean-Luc Mélenchon depuis près d’une semaine, on doit ici battre en brèche une idée qui ne manquera pas d’être soulignée : les souspréfectures auraient vocation à être représentées par la gauche gestionnaire quand les métropoles seraient des bastions de la gauche radicale et politique. Or la gauche gestionnaire des grands féodaux ne nous paraît rien moins qu’armée pour pourvoir au développement de ces territoires. Les régions ont largement décousu l’Etat social et aménageur, elles ont été le véhicule de la transformation de la DATAR en DIACR, son outil de justification politique rétrospectif. En multipliant et en enchâssant les structures décisionnelles (régions, départements, communautés de communes), la décentralisation a multiplié le nombre d’élus locaux tout en brouillant la représentation politique, témoin les chiffres particulièrement bas de la participation lors des élections locales. Enfin et surtout, ces collectivités ne sont pas dotées de moyens suffisamment performants pour corriger les déséquilibres territoriaux : les franchises d’impôts et les aides régionales, ainsi que les subventions aux dessertes ferroviaires locales n’ont pas contribué au désenclavement des petites villes. Cent cinquante ans après le Second Empire, force est de constater que seules les grandes opérations menées par l’Etat ont réellement corrigé les déséquilibres du territoire. La NUPES en général et LFI en particulier ont réussi ce tour de force dans le cycle électoral de 2022 de coaliser les quartiers populaires, la jeunesse écologiste et la classe moyenne urbaine éduquée au service d’un projet politique économiquement volontariste. Sa logique complète est qu’il soit désormais étendu à toute l’épaisseur sociale du territoire français, qu’il intègre la France des souspréfectures. Les résultats contraires en Ariège viennent rappeler ce devoir de faire mieux dans ces territoires. La fenêtre d’opportunités que constitue la bataille des retraites n’est pas refermée. L’urgence est là : le bloc bourgeois se réinvente progressivement et démontre ce soir sa capacité à se regrouper pour faire battre une alternative politique sociale et écologique. Or cette séquence sociale constitue encore, deux mois et demi après son démarrage le 19 janvier, une occasion pour la NUPES de retisser des liens politiques avec des villes de sous-préfectures 

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